Yukio Mishima est un écrivain japonais, sans doute le plus célèbre et le plus traduit de par le monde. Il est né le 14 Janvier 1925 à Tōkyō, dans le quartier de Yotsuya (arr. de Shinjuku), et il est mort de manière célèbre le 25 Novembre 1970 en se faisant seppuku (ou vulgairement “harakiri”), ce qui sera d’ailleurs le dernier suicide traditionnel par éventration que le Japon connaîtra.
NOTE : la vie de Mishima fut réellement hors du commun, à tout point de vue, ainsi ne pouvant me résoudre à tout résumer en un court article de quelques lignes comme d’habitude, j’ai choisi de faire une série en plusieurs articles car il le mérite amplement. D’autre part n’étant pas écrivain j’ai fait de mon mieux pour rédiger cet article, mais je cite parfois littéralement certains biographes, ne trouvant pas de meilleures formulations que les leurs.
Alors Mishima est le premier auteur japonais que j’ai lu. Rien d’étrange à cela dans la mesure où il s’agit d’un des plus grands écrivains japonais contemporains et que son oeuvre fut donc très largement divulguée. Je pense que Gallimard a dû publier tout ses romans dans la collection Folio poche, et c’est tout ce que je pouvais trouver sur le Japon à la bibliothèque de mon quartier à l’époque. Les éditions Picquier n’existaient pas encore et en dehors de Mishima, tout le monde se foutait bien de ce que les japonais pouvait écrire ! (bon c’était pas tout à fait vrai hein) En tout cas c’est sous cette édition que j’ai emprunté “Le marin rejeté par la mer” (午後の曳航 – 1963) j’adorais le Japon et n’avait absolument aucune idée de qui était Mishima, tout ce que je voulais c’était découvrir le pays et ma mère m’avait dit “Ah… Mishima…c’est un grand écrivain !”.
Bon…je n’ai pas vraiment aimé “Le marin rejeté par la mer”, enfin je l’ai détesté, mais en même temps il m’a fasciné. Ce fut mon premier choc littéraire et si mes parents avaient lu Mishima avant moi, ils m’auraient absolument empêché de le lire.
C’est l’histoire d’un drame affreux qui dépeint les relations et les pulsions les plus malsaines que j’ai jamais lues :
Noboru, un garçon de 12-13 ans découvre que sa mère avec qui il vit seul, a une relation avec un marin. Au début le garçon voit en lui un héros, l’allure, la prestance de l’uniforme, il est comme un idéal pour lui, mais ce dernier va choir dans son estime. C’est un honnête homme qui aime sa mère sincèrement et décide quitter la marine pour l’épouser, passant ainsi du statut de héros, d’homme intrépide à celui, insipide et fade d’homme normal et même de père. Un père dont il ne veut pas. A partir de là les choses ne font qu’empirer, entraînant les personnages dans une tragédie funeste.
Mishima reste à ce jour pour moi, l’écrivain qui raconte les drames les plus terribles, masochistes, sadiques et vénéneux que j’ai lu. De manière magistrale et incroyablement réaliste.
Mais comment aurais-je pu complètement aimer ou comprendre ce livre à douze ans, moi qui était un petit garçon occidental de classe moyenne, aimé et choyé par deux parents bons et généreux et qui aimait la vie ? Quasiment tout l’opposé de l’auteur, même si je ne le savais pas à l’époque.
Après cette expérience, je n’eu plus vraiment envie de m’approcher d’un livre de Mishima, mais ma soif du Japon fut la plus forte et il était le seul auteur japonais à ma disposition, alors…. J’ai donc lu ensuite “Le Pavillon d’Or” (金閣寺-1956) en me disant que ça parlerait de temples, de Kyoto, de samouraï…et je fus une fois de plus à la fois déçu et abasourdi. Par ces personnages, par leurs sentiments, par ce monde très différent du mien et très différent de l’idée que je m’en faisais (mes seules références étaient alors, goldorak, judo-boy et shogun avec Richard Chamberlain !) là où j’attendais du romanesque, de l’aventure ou des énigmes policières j’eu des drames intérieurs puissants de la part de personnages réalistes, laids, désabusés, blessés, pervers et égoïstes tous promis à une fin déprimante ou funeste.
J’entretiens aujourd’hui encore, avec Mishima, un rapport étrange. Il m’est à la fois précieux et vénéneux. Il est à l’image du pays qui est le sien au fond, paradoxal. Il est pétri d’un imaginaire spirituel japonais très fort qui m’a profondément marqué, et d’une fascination, d’une obsession pour la mort et qui se retrouve au coeur de toutes ses histoires.
Son rêve ou plus exactement son fantasme, était de mourir fauché jeune et beau par une mort héroïque. Il admirait les histoires de samuraï se sacrifiant pour l’honneur sur le champ de bataille ou se faisant seppuku.
On sent chez lui un attrait et une influence de l’occident et en même temps des valeurs traditionnelles, complètement à l’opposé, mais le tout se mariant harmonieusement parce que “digéré”.
Alors je ne suis pas un spécialiste de Mishima hein, mes connaissances et ma mémoire étant bien limitées, pour écrire cet article j’ai fait comme tout le monde : je suis allé à la bibliothèque et j’ai lu deux biographies, “Mishima” de Jennifer Lesieur parut en 2011 chez Folio (encore) et “Mort et vie de Mishima”, que j’avais déjà lu il y a bien des années, de Henry Scott-Stokes et traduit par André Balland en 1985.
J’ai tenté de résumer, et il m’est arrivé de reprendre parfois quelques phrases telles quelles (signalée en italique) car je ne trouve pas de meilleures formulations, je m’en excuse mais toute l’ambition de ce petit article est de vous inciter à peut-être découvrir un auteur majeur. Et dans ce cas je ne saurais que trop vous recommander la lecture de ces deux ouvrages, le premier est très bien écrit et très vivant sans pour autant donner dans le roman, et le second est l’oeuvre d’un des premiers journalistes étrangers à vivre au Japon, qui fut un grand ami de Mishima.
Yukio Mishima n’est pas son vrai nom, en réalité il s’appelait Kimitake Hiraoka (平岡 公威) et sa vie, jusqu’à sa mort même, fut très particulière. Il fut un auteur prolifique, écrivant une quarantaine de romans, une douzaine d’essais et plusieurs pièces de théâtre et je suis loin d’avoir lu toute son oeuvre. C’était un personnage torturé, rempli de contradictions et complètement fasciné par la mort. Mais pour bien le comprendre, il faut remonter un peu avant lui à l’histoire de ses grands parents.
Mishima était issu de deux familles très opposées socialement, les HIRAOKA de par son grand-père Jotarō, qui était une famille de paysans sans nom jusque vers la fin du XIXe siècle, et les NAGAI de par sa grand-mère Natsuko, qui étaient une famille d’aristocrate apparentée aux TOKUGAWA (la grande dynastie des shogun, du beau linge donc!).
Cette union des deux familles fut complètement arrangée, il ne s’agissait en aucune manière d’un mariage d’amour. Natsuko était l’ainée de douze enfants et elle avait des crises d’hystérie ce qui, dans le Japon de l’époque, était considéré comme une disgrâce divine, au mieux comme un handicap, faisant d’elle dans tous les cas, le boulet de la famille Nagai !
D’autant plus que selon la tradition, ses cadets ne pouvaient prétendre se marier avant elle ! Voilà le hic !
Il fallait donc se “débarrasser” de cette gêneuse, pour le bien de la famille.
Et c’est ainsi que son père la donna au premier homme avec un niveau d’instruction suffisamment important qui fut donc Jotarō Hiraoka. Oui parce qu’il fallait quand même un certain standing hein, un roturier certes, mais un roturier respectable !
En effet il faisait partie de cette petite, mais nouvelle élite de fonctionnaires d’état appelés à exercer les plus hautes fonctions administratives. Ainsi l’honneur était sauf ! Ouf, belle opération grand papi ! Il sera d’ailleurs nommé Gouverneur de l’île de Sakhaline, au nord de Hokkaido, un territoire depuis toujours disputé aux russes¹.
Ainsi Natsuko épousa Jotarō, qu’elle détestait pour ce qu’il était et choisit dès lors de lui faire payer ainsi qu’au monde entier, son malheur. Leur union fut orageuse, lui démissionnera de son poste pour se lancer dans les affaires mais y perdra tout, réussissant néanmoins à entretenir une certaine allure – au prix de tout le reste – et quantités de maîtresses. Elle, n’est que colère, rage et mépris, son union avec un inférieur lui est insupportable et elle le fait savoir autant qu’elle peut. Ils eurent pourtant un fils, Azusa, qui se révèlera être un bureaucrate rigide et sérieux travaillant pour le gouvernement et qui à 30 ans, épousera Shizue Hashi de dix ans plus jeune.
Selon la tradition japonaise, l’épouse s’installe chez le mari ou plus souvent dans la maison familiale du mari. Voilà qui scella donc son destin puisqu’elle deviendra le souffre-douleur sa belle-mère Natsuko. Quand Mishima naît, elle l’enlève quelques semaines plus tard pour le séquestrer dans sa chambre sans jamais l’en laisser sortir. Shizue allaite l’enfant dans la chambre de sa belle-mère et sous son regard scrutateur, montre en main. Elle n’a d’autres choix que de se soumettre de peur de perdre le peu de contact qu’elle a avec son fils.
Natsuko gardera le petit Kimitake captif pendant 12 ans ! Elle l’éduquera à sa manière à elle, chétif, maladif et surprotégé. Il ne sort que pour aller à l’école, la prestigieuse Gakushu-in (学校法人学習院) une école privée élitiste jusque là réservée aux enfants de la famille impériale et à la noblesse, où il sera brimé.
Malgré les interdictions et le contrôle abusif constant de sa grand-mère, Kimitake l’aime profondément, elle lui transmettra sa passion du théâtre Kabuki et l’emmènera voir sa première pièce. Il restera passionné toute sa vie par le kabuki allant jusqu’à en écrire lui-même plusieurs pièces. Sous l’égide de sa grand-mère il va s’immerger dans le Japon féodal et toutes ses légendes dramatiques, Natsuko lui inculque un esprit de guerrier noble, promis jeune à une mort sublime puisque violente².
Elle fini par le rendre à ses parents, d’abord parce que Jotarō la harcèle à ce propos et ensuite parce qu’elle est désormais trop malade pour prendre soin de lui. Il s’inscrit au club de littérature de l’école et compose plusieurs poèmes qui seront publiés, ainsi que sa première nouvelle “Fleur d’oseille – un souvenir de jeunesse” (春草抄――初等科時代の思ひ出)
La rencontre inattendue entre un petit garçon de 6 ans et un prisonnier en fuite sur une colline illuminée par le soleil d’été, puis dans les bois sombres environnants. Un enfant en larmes, un meurtrier et une nature vivante, bruissante, lourde de messages secrets : ces éléments qui reviendront dans la fiction de Mishima naissent sous la plume d’un enfant de 12 ans.
Pendant des années Kimitake n’aura de choix que de se cacher pour écrire et subira les brimades de son père qui ira jusqu’à déchirer ou brûler ses écrits considérant l’écriture comme déshonorant et n’étant pas le devoir d’un homme (on est dans les années 30-40, et “la tradition” au Japon veut que ce soit les femmes qui écrivent la lecture “divertissante”, tout ce qui n’est pas de l’ordre du pouvoir en fait).
Plus tard il l’obligera à étudier le droit allemand . Et puis il a retrouvé sa mère qui fera tout pour être l’inverse de Natsuko et restera sa complice de toujours. D’ailleurs son père se retrouve en poste loin pendant un an lui offrant ainsi un répit salvateur et l’occasion d’être un peu plus lui-même et ainsi de pouvoir écrire sans contraintes ni peur d’être découvert.
Citations:
¹ ² Jennifer Lessieur, Mishima, Paris, Gallimard, , 254 p. (ISBN 2-07-034158-5)
Sources :
Jennifer Lessieur, Mishima, Paris, Gallimard, , 254 p. (ISBN 2-07-034158-5)
Marguerite Yourcenar, Mishima ou la Vision du vide, Paris, Gallimard, , 128 p. (ISBN 2-07-023887-3)
John Nathan, La Vie de Mishima, Paris, Gallimard,